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Les oiseaux de passage (Poème de Jean Richepin) |
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Ô vie heureuse des bourgeois! Qu’avril bourgeonne Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents. Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne; Ça lui suffit, il sait que l’amour n’a qu’un temps. Ce dindon a toujours béni sa destinée. Et quand vient le moment de mourir il faut voir Cette jeune oie en pleurs: «C’est la que je suis née, Je meurs près de ma mère et j’ai fait mon devoir.» Elle a fait son devoir c’est à dire que oncques Elle n’eut de souhait impossible, elle n’eut Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque L’emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu. Et tous sont ainsi faits, vivre la même vie Toujours pour ces gens là cela n’est point hideux. Ce canard n’a qu’un bec et n’eut jamais envie Ou de n’en plus avoir ou bien d’en avoir deux. Ils n’ont aucun besoin de baiser sur les lèvres Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants, Possèdent pour tout cœur un viscère sans fièvre, Un coucou régulier et garanti dix ans! Ô les gens bien heureux!… Tout à coup, dans l’espace, Si haut qu’ils semblent aller lentement, en grand vol En forme de triangle arrive, plane, et passe. Où vont ils? Qui sont-ils ? Comme ils sont loins du sol! Regardez les passer! Eux ce sont les sauvages, Ils vont où leur désir le veut: par dessus monts Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages. L’air qu’ils boivent ferait éclater vos poumons. Regardez les! Avant d’atteindre sa chimère, Plus d’un, l’aile rompue et du sang plein les yeux, Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux. Pour choyer cette femme et nourrir cette mère, Ils pouvaient devenir volailles comme vous. Mais ils sont avant tout des fils de la chimère, Des assoiffés d’azur, des poètes, des fous. Regardez les, vieux coq, jeune oie édifiante! Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu’eux. Et le peu qui viendra d’eux à vous c’est leur fiante. Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux. |
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